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Pharmacie / Hygiène

Équipes Mobiles d’Hygiène : un dispositif précurseur pour la région ARA


Publié le Mercredi 19 Avril 2023 à 11:30

En matière de prévention et de contrôle du risque infectieux dans le secteur médico-social, la région Auvergne-Rhône-Alpes fait figure de précurseur, avec la mise en œuvre d’un dispositif d’Équipes Mobiles d’Hygiène (EMH) dès 2007. Nous découvrons ce projet exemplaire avec ses coordonnateurs, Marguerite Pouzet, responsable du Pôle Qualité rattaché à la Direction de l’Autonomie de l’Agence Régionale de Santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes, et le Docteur Anne Savey, responsable du Centre de prévention des infections associées aux soins (CPias) Auvergne-Rhône-Alpes.


L’ex-région Rhône-Alpes a été l’une des premières à mettre en place un dispositif EMH. Pourriez-vous nous en parler ?

Marguerite Pouzet : Effectivement, deux expérimentations avaient été menées en 2007 sur cette thématique dans la Drôme et l’Ardèche, rapidement suivies d’initiatives similaires opérées avec l’appui des Équipes Opérationnelles d’Hygiène (EOH) de la Loire et de l’Isère. Une première évaluation, effectuée entre 2011 et 2012, a confirmé la pertinence du dispositif EMH et la plus-value apportée en matière de prévention du risque infectieux dans les structures médico-sociales. Pour faciliter sa généralisation, l’ARS Rhône-Alpes et l’ex-ARLIN Rhône-Alpes – aujourd’hui CPias Auvergne-Rhône-Alpes – ont travaillé de concert afin d’affiner et d’approfondir la méthodologie, avant le lancement d’un appel à candidatures en 2013. Fin 2016, le déploiement du dispositif EMH était finalisé auprès des EHPAD éligibles en Rhône-Alpes, c’est-à-dire ceux non adossés à un établissement de santé. Par la suite, une expérimentation portée par l’EMH de Villefranche auprès de plusieurs établissements handicap (FAM et MAS) a été conduite puis évaluée entre 2016 et 2018 ; elle a démontré l’intérêt de cette extension.

Et ensuite ?

Marguerite Pouzet : En 2016, les ex-régions Auvergne et Rhône-Alpes fusionnent dans le cadre de la constitution des nouvelles grandes régions. Face à l’attente des établissements médico-sociaux auvergnats, qui connaissaient le dispositif EMH existant en Rhône-Alpes et souhaitaient en bénéficier à leur tour, nous avons lancé un second appel à candidatures en 2018, pour un déploiement échelonné jusqu’en janvier 2021. À cette occasion, le périmètre de trois EMH auvergnates a été élargi au champ du handicap dès leur constitution ; il s’agit de celles des centres hospitaliers d’Aurillac, d’Issoire et du Puy-en-Velay, qui interviennent aussi bien dans des EHPAD que dans des Établissements ou Foyers d’accueil médicalisé (EAM/FAM), Maisons d’accueil spécialisé (MAS), Instituts d’éducation motrice (IEM) et Établissements pour enfants et adolescents polyhandicapés (EEAP). À noter, nous avons également élargi le périmètre de l’EMH de Valence sur le handicap dans le cadre d’un autre appel à candidatures en 2018.

Où en est le dispositif aujourd’hui ?

Dr Anne Savey : Nous sommes au complet depuis janvier 2021, avec 30 EMH disponibles pour l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Sur les 786 EHPAD éligibles au dispositif – sur les 929 établissements que compte la région –, nous avons aujourd’hui un taux de couverture de 97,7 % avec, bien sûr, un objectif cible de 100 %. Cette dynamique exemplaire est à mettre au crédit de l’ARS, qui a alloué des moyens à hauteur des enjeux : le dispositif bénéficie en effet d’un financement pérenne issu du fonds d’intervention régional, à hauteur de plus de 5.2M€ par an, ce qui a d’ailleurs permis à chaque EMH de disposer d’une double valence praticien/infirmier hygiéniste. Le ratio a à cet égard été défini dès le premier appel à candidatures : 1 Équivalent temps plein (ETP) de praticien hygiéniste et 1,8 ETP d’infirmiers diplômés d’État hygiénistes (IDEH) pour 3 000 places, soit un total à ce jour de 18 ETP praticiens et de 40 ETP infirmiers. Et nous avons semble-t-il visé juste, car ce ratio est sensiblement équivalent à celui récemment préconisé par la Société Française d’Hygiène Hospitalière (SF2H), à savoir 0,5 ETP praticien et 1 ETP IDEH pour 1 500 places.

Un mot sur l’organisation retenue ?

Marguerite Pouzet : À chaque fois, c’est l’ARS qui définit la zone d’intervention de l’établissement de santé accueillant l’EMH. Il est tenu compte des temps de déplacements qui doivent être limités à environ 45 minutes de distance autour du site d’implantation de l’équipe mobile. L’EMH noue ensuite une convention avec chaque structure concernée pour préciser son champ d’intervention, la répartition des rôles, ainsi que son appui à la mise en place et la réalisation d’un programme d’actions. Mais le dispositif est coordonné par l’ARS et le CPias, qui apportent leur soutien à l’équipe mobile via la veille sanitaire et la gestion des événements infectieux.   Nous sommes également chargés de son évaluation.

Justement, comment s’effectue celle-ci ?

Marguerite Pouzet : Différents types d’indicateurs ont été dès le départ définis pour mesurer le retour sur investissement du dispositif. La collecte des données s’appuie sur le système d’information du CPias, ouvert en 2018 à l’ensemble des EHPAD de la région, qu’ils soient éligibles ou non au dispositif EMH, et en 2020 aux FAM/EAM et MAS de la région également. La campagne 2022, qui portait donc sur les données de l’année 2021, s’est traduite par un taux de participation de 100 % des EMH, de 72 % des EHPAD et de 51 % des FAM/EAM et MAS, sachant que seulement 25 % d’entre eux disposent actuellement d’une EMH.

Dr Anne Savey : Côté EMH, les données recueillies permettent, pour l’essentiel, d’évaluer l’adéquation des objectifs avec les moyens alloués – nombre de jours de formations effectués, de conseils, de visites et d’interventions sur site, etc. – et d’effectuer un bilan des activités. Les indicateurs applicables aux structures médico-sociales visent, pour leur part, à apprécier leur engagement en matière de prévention et de contrôle des infections : organisation (responsable et comité de suivi, programme d’action, correspondants en hygiène, formation…), taux de couverture vaccinale antigrippe chez les professionnels de santé et les résidents, consommation de solutions hydro-alcoolique (SHA), observance règlementaire des contrôles environnementaux, etc.

Quels enseignements en tirer ?

Marguerite Pouzet : Le bilan du dispositif EMH est assurément positif, comme nous l’avions constaté dès l’automatisation du recueil des indicateurs en 2018 pour tous les EHPAD de la région. Plus concrètement, la présence d’une EMH contribue à une meilleure organisation et un meilleur suivi des actions mises en œuvre par les professionnels dans les établissements médico-sociaux, par exemple pour le volet infectieux du Plan Bleu ou, plus récemment, la démarche d’analyse et de maîtrise du risque infectieux (DAMRI). Les épisodes épidémiques sont en outre d’intensité moindre avec une réduction des taux d’attaque, car l’appui technique de l’EMH se traduit par une meilleure formalisation et application des protocoles et donc une circonscription plus rapide des événements. En matière de surveillance environnementale, les contrôles légionelles, notamment, sont davantage réalisés. Pour résumer, les EMH favorisent plus généralement une meilleure diffusion des bonnes pratiques, y compris par exemple en matière d’hygiène des mains.

Dr Anne Savey : Les équipes des structures médico-sociales se sentent en effet mieux épaulées, avec la possibilité de bénéficier de visites programmées, par exemple pour des formations, audits ou plans d’actions spécifiques, et d’interventions curatives pour faire rapidement face à une situation de crise. D’ailleurs, lors d’une enquête qualitative organisée en 2016 par l’ARS auprès des EHPAD concernés par une EMH, plus de 97 % des établissements répondants étaient satisfaits de leurs interventions. Ce chiffre a conforté la montée en puissance du dispositif.

Dans quelle mesure les EMH sont-elles associées aux actions de pilotage ?

Dr Anne Savey : Elles participent aux réunions du comité de pilotage régional, aux côtés de l’ARS et du CPias, mais aussi à différents groupes de travail pour réfléchir à l’harmonisation de leurs pratiques ou approfondir des thématiques particulières – accidents d’exposition au sang, gestion des déchets, utilisation raisonnée des produits d’entretien, etc. Une rencontre annuelle leur est en outre dédiée pour favoriser les retours d’expériences et partages d’idées – la date du 9 novembre a d’ailleurs déjà été retenue pour l’opus 2023.

Nous avons évoqué les bénéfices du dispositif EMH. Avez-vous néanmoins identifié des freins ou des écueils particuliers ?

Dr Anne Savey : Oui, et ils sont pour l’essentiel liés aux tensions actuelles sur les ressources humaines. Les équipes des EHPAD sont épuisées par l’épidémie Covid, les recrutements sont difficiles, l’absentéisme en hausse et le turn-over important. Il est donc plus difficile, pour les EMH, de s’appuyer sur un personnel stable et suffisamment disponible. Le CPias a donc ici un rôle à jouer, en mettant à disposition des référentiels documentaires et en proposant des e-formations concises et attractives. Sur ce dernier point, les missions nationales MATIS et PRIMO ont déjà développé plusieurs outils intéressants.

Marguerite Pouzet : Convaincue que le numérique peut offrir un appui précieux aux équipes sur le terrain, l’ARS a également financé une plateforme collaborative entre les EMH et les établissements médico-sociaux, déployée par l’EMH des Hôpitaux du Léman en Haute-Savoie. Facilitant le partage d’informations, celle-ci a, depuis, été également adoptée par l’EMH de Valence et est en cours de déploiement au niveau du CPias Occitanie. Le CPias Auvergne-Rhône-Alpes a par ailleurs mis à disposition des EMH une plateforme Claroline, plus particulièrement dédiée aux partages de documents.

Quelles sont vos perspectives à court et moyen terme ?

Marguerite Pouzet : Nous entendons, d’abord et surtout, consolider les EMH actuelles, afin de leur permettre de prendre plus largement le virage du handicap. Nous menons à cet égard une enquête portant sur leur périmètre d'intervention et les moyens humains à leur disposition, pour mieux anticiper cet élargissement qui fait aujourd’hui l’objet de nombreuses attentes. Cela est d’autant plus vrai depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle évaluation HAS à destination des établissements et services médico-sociaux, qui investiguera, entre autres, les actions relatives à la prévention et au contrôle des infections. Dans la continuité de cette dynamique, nous comptons également sur les EMH pour muscler l’accompagnement offert en matière de démarche d’analyse et de maîtrise du risque infectieux (DAMRI).

Dr Anne Savey : Sur un autre registre, des groupes de travail additionnels sont en cours de constitution au niveau des EMH, en particulier autour de l’hygiène buccodentaire, des infections urinaires, des voies sous-cutanées, des guéridons de soins et du développement de coordination/synergies avec les hygiénistes et qualiticiens des grands groupes du secteur privé. Par ailleurs, et après la création en septembre 2021 du Centre Régional en Antibiothérapie (CRATB), et la diffusion en janvier dernier d’une première plaquette d’aide à la prescription des antibiotiques lors des principales infections rencontrées en EHPAD, nous sommes en train de produire des indicateurs sur le champ du bon usage des antibiotiques et réfléchissons à l’articulation des EMH et des Équipes Multidisciplinaires en Antibiothérapie (EMA).

Pour finir, quels conseils donneriez-vous aux régions souhaitant également mettre en place un dispositif EMH ?

Marguerite Pouzet : Je soulignerais essentiellement la nécessité de promouvoir des équipes pluriprofessionnelles, de favoriser la constitution de trinômes ARS/CPias/établissement médico-social – une organisation s’étant révélée particulièrement structurante pour les EMH –, et de tirer autant que possible profit des maillages territoriaux de proximité existants, comme les filières gérontologiques ou les bassins de santé intermédiaires. Nous serons d’ailleurs heureux que notre modélisation puisse bénéficier à d’autres et comptons, pour notre part, poursuivre cet élan en continuant à œuvrer pour une meilleure sécurité des soins auprès des établissements médico-sociaux.

Dr Anne Savey : La question du financement ne peut en outre être éludée : le succès du dispositif mis en œuvre en Auvergne-Rhône-Alpes est étroitement lié à l’existence d’un financement pérenne par l’ARS, qui permet aujourd’hui de couvrir 100 % des besoins. D’ailleurs, dans les régions où ce financement a été suspendu, ou laissé à la charge des établissements, de nombreuses structures n’ont plus accès à l’expertise des EMH. Sans oublier qu’il est difficile, voire impossible, de recruter les praticiens et des infirmiers hygiénistes sans financement durable… Il s’agit donc d’une condition sine qua none pour disposer d’un personnel stable et compétent et initier ainsi une dynamique vertueuse, dont les bénéficiaires sont nombreux.

Article publié dans le numéro d'avril d'Ehpadia à consulter ici
 


Agenda

Le CPias Auvergne-Rhône-Alpes organise prochainement deux journées dédiées à la prévention et au contrôle des infections dans le secteur médico-social. Rendez-vous le 4 mai 2023 à Saint-Amand-Tallende, à côté de Clermont-Ferrand, et le 10 octobre 2023 à Bron, dans la métropole lyonnaise. Plus d’informations sur https://www.cpias-auvergnerhonealpes.fr